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Médiation parent-ado : que penser du concept controversé de Syndrome d’Aliénation Parentale (SAP) ?

Aliénation parentale

Je reçois Max à l’occasion d’un entretien d’information suite à une injonction du tribunal, en

vue de mettre en place une médiation « parent-ado », entre lui et sa fille Chloé. Il m’explique

que sa relation avec son ex-conjointe est très conflictuelle : « elle n’a jamais supporté la

séparation, et depuis que j’ai une nouvelle compagne, elle fait tout pour me nuire. Elle se

sert de Chloé pour m’atteindre. Elle dit du mal de moi en permanence, et maintenant, Chloé

ne veut plus me voir. Mon avocate dit que c’est caractéristique d’un syndrome d‘aliénation

parentale (SAP) ».

Le SAP est fréquemment mentionné dans les situations de séparation conjugale, lorsque

des enfants disent vouloir couper les ponts avec l’un de leurs parents. Le parent ainsi rejeté

explique le refus de son enfant par une sorte « d’intoxication mentale » mise en place par le

« parent-gardien ».

Une telle catégorisation de la situation n’est pas utile au processus de médiation, et peut

même nuire à la qualité de l’écoute du médiateur. Néanmoins, pour permettre de questionner cette représentation réductrice du SAP, il m’a paru intéressant d’essayer de mieux comprendre ce concept clivant.


L’origine du concept de « syndrome d’aliénation parentale »

La notion de SAP est introduite dans les années 80 par le Dr Richard Gardner, psychiatre. Elle fait rapidement l’objet de controverses, tant sur un plan scientifique (manque d’études fiables) que sur un plan juridique. La principale critique, reprise par de nombreux mouvements féministes, est pointée en 2006 par le psychiatre américain Paul Fink : « Je suis très inquiet en ce qui concerne l’influence que Gardner et sa pseudo-science peuvent exercer sur les tribunaux…. Une fois que le juge admet le SAP, il est facile de conclure que les allégations d’agressions sont mensongères et les tribunaux attribuent la garde des enfants à des agresseurs présumés ou avérés ». Cette argumentation est reprise par le Conseil de l'Europe qui exhorte les États de l'UE « à ne pas reconnaître le SAP dans leur pratique judiciaire et leur droit ».

Néanmoins, l’utilisation abusive de la notion de SAP ne doit pas empêcher la reconnaissance d’un phénomène mis en évidence par de nombreux chercheurs, professionnels ou associations. Ce phénomène d’aliénation parentale, qui n’a plus à être considéré comme un syndrome de l’enfant mais plutôt comme le résultat d’un « trouble de la relation parent-enfant », est décrit par MF Hirigoyen dans son livre Séparations avec enfants, comme « un traumatisme aux effets dévastateurs sur la construction identitaire d’un enfant et son développement psychoaffectif ».

La définition proposée par le pédopsychiatre américain William Bernet fait globalement consensus : « L’aliénation parentale est la condition psychologique particulière d’un enfant (habituellement dont les parents sont engagés dans une séparation très conflictuelle) qui s’allie fortement à un de ses parents (le parent « préféré ») et rejette la relation avec l’autre parent sans raison légitime ».

Si ce dysfonctionnement relationnel n’est pas répertorié en tant que tel dans le DSM (*) , on peut le rapprocher des notions suivantes :

  • Problème relationnel parent-enfant (page 843),

  • Enfant affecté par la souffrance relationnelle chez les parents (page 844),

  • Sévices psychologiques sur un enfant (page 848).


Jurisprudence

Même si les magistrats semblent vouloir éviter l’emploi de l’expression d’« aliénation parentale », la justice s’appuie dans certains jugements sur l’argument des abus parentaux relevant de cette notion :

  • Par son arrêt du 16 /11/2022, la Cour de Cassation reconnaît que « l’escalade dans le conflit parental, alimenté par [l’un des parents] » et l’instrumentalisation de l’enfant commun dans ce conflit parental, constitue un motif de retrait de l’autorité parentale au même titre que la violence physique, ou la mise en danger de l’enfant.

  • Dans un arrêt du 13 Avril 2022, la Cour d’Appel de Nîmes justifie une décision de retirer l’autorité parentale à une mère : « En ayant instillé chez ses enfants peu à peu la haine qu’elle a de leur père, en les privant de leur père depuis 4 ans, la mère les ampute d’une partie d’eux-mêmes. Elle leur a volé, non seulement l’accès à leur père et une partie de l’étayage de leur construction identitaire, mais également leur libre arbitre, en les conditionnant par la répétition de son erreur de jugement, répétée et amplifiée sur un mode anxiogène pour eux. Cette erreur de jugement qui est la sienne, est devenue par emprise et par influence en chaîne de la mère à chacun des enfants, une erreur collective de jugement dans la coalition mère -enfants. La mère a donné à ses enfants l’exemple très négatif de son comportement de toute puissance et leur enseigne ainsi cette toute puissance, se servant d’eux pour faire échec aux décisions judiciaires. Les conditions de leur éducation sont sur ce plan gravement compromises au sens de l’article 375 du Code civil, et les enfants sont en grave danger dans leur développement psychique et affectif, même si en apparence, ils peuvent donner à voir qu’ils semblent aller bien ».


Conflit de loyauté

De nombreux thérapeutes, sociologues ou médiateurs ont mis en évidence le conflit de loyauté auquel les enfants de parents séparés pouvaient être confrontés (Le conflit de loyauté dans les cas de séparation parentale, par E. Anglada et M. Meynckens-Fourez ; Les séparations parentales conflictuelles - Conséquences, enjeux et prises en charge, par E. de Becker, D.Seguier et JE Vanderheyden ; etc.) Le pédopsychiatre E de Becker le définit comme « un conflit intrapsychique dont l’origine est liée à l’impossibilité de choisir entre deux solutions possibles, choix qui engage le niveau des affects envers des personnes fondamentales en termes d’attachement, à savoir chacun des parents ». Selon ces publications, le conflit de loyauté peut, lorsque le conflit parental se poursuit après la séparation, être instrumentalisé, souvent de manière inconsciente, par l’un des parents, et nourrir ainsi le rejet par l’enfant de l’autre parent.


Mon expérience en médiation familiale

Les situations de rupture entre un parent et son enfant adolescent, dans un contexte de séparation conjugale ancienne, semblent le plus souvent liées au conflit parental.

La gestion de son conflit de loyauté peut conduire l’enfant, confronté à deux récits antagonistes et incompatibles, à « choisir son camp ». En grandissant l’enfant est amené à prendre de la distance par rapport aux récits parentaux, mais cette prise de distance est beaucoup plus difficile s’il s’est approprié l’un des 2 récits, en particulier, lorsque l’émotion du « parent-gardien » (peur, colère, tristesse) l’a impacté.

Au cours de l’entretien individuel d’information avec l’adolescent, certains signes peuvent faire craindre un manque de distance de l’enfant par rapport au récit du parent-gardien (aliénation). En ce qui me concerne, cela met en question la pertinence de l’implication directe de l’enfant dans la médiation :

  • Emploi du « nous » (« il nous a fait trop de mal ») ;

  • Reprise des récits, au mot près, du parent « gardien » ;

  • Description de scènes où l’enfant n’était pas présent ;

  • Utilisation d’arguments qui ne sont pas de son âge (« il a conduit après avoir bu 2

    verres d’alcool »).

Dans les cas que j’ai pu rencontrer, il n’y avait a priori pas de volonté délibérée de manipulation de l’enfant. Néanmoins, par son omniprésence, le conflit parental et la décrédibilisation du parent non-gardien étaient devenus constitutifs d’un récit familial imprimé durablement dans la mémoire de l’enfant.

Enfin, il me semble intéressant de souligner que la supposée « aliénation » est loin d’être une exclusivité des mères : dans environ 1/3 des cas que je rencontre, le père est en position de parent-gardien.


*Le DSM est une classification des troubles psychiatriques et psychiques utilisée au niveau

international

 
 
 

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